En quoi la nourriture irradiée peut-elle protéger notre santé ?

Pierre-Louis
6 min readOct 25, 2024

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On dit que l’irradiation des produits alimentaires est la plus grande avancée dans l’industrie alimentaire depuis l’invention de la conserve par Nicolas Appert en 1810. Cette innovation est d’autant plus cruciale aujourd’hui, où un individu sur huit souffre de sous-alimentation chronique, une situation qui risque de s’aggraver avec l’augmentation croissante de la population mondiale. Plus du quart des denrées récoltées est perdu à cause de gaspillage et de détérioration, ce qui souligne l’importance de la conservation alimentaire.

Mais alors en quoi l’irradiation des aliments peut-elle protéger notre santé ?

I. L’irradiation des aliments, qu’est ce que c’est ?

Dans l’économie mondiale actuelle, une grande partie de notre nourriture est consommée à un moment et un lieu éloignés de ceux où elle a été produite. Pour protéger les aliments et prolonger leur durée de vie pendant le transport et le stockage, les aliments peuvent être conservés par divers procédés tels que la cuisson, la réfrigération, la pasteurisation, le salage, la marinade, le séchage, le fumage et l’irradiation.

Définition

Le traitement des aliments par radiation, ou irradiation des aliments, est un processus physique dans lequel les denrées alimentaires, en vrac ou préemballées, sont exposées à des doses contrôlées d’énergie de rayonnement ionisant telles que les faisceaux d’électrons, les rayons X ou les rayons gamma pour atteindre différents objectifs technologiques.

Sources et fonctionnement des rayonnements ionisants

La radiation pour le traitement des aliments est réalisée par l’application de rayons gamma (avec le radioisotope Cobalt-60), de faisceaux d’électrons (énergie élevée allant jusqu’à 10 MeV) ou de rayons X (énergie allant jusqu’à 5 MeV). Le MeV (Mégaélectron-Volt) est une unité d’énergie très petite utilisée en physique, équivalente à l’énergie qu’un million d’électrons reçoivent en traversant une pile de 1 volt.
Les atomes instables, ou radioisotopes, sont des atomes qui ont un excès d’énergie ou de masse, ce qui les rend sujets à la désintégration radioactive pour devenir plus stables.

  • Les faisceaux d’électrons, un flux d’électrons à haute énergie, sont générés par des accélérateurs d’électrons et bien qu’ils soient une source rentable de rayonnement ionisant, ils sont d’une utilité limitée car ils ont une faible capacité de pénétration. Cela ne covient donc qu’aux aliments pré-emballés. Ces accélérateurs fonctionne en émettant des électrons depuis une cathode chauffée, puis en les accélérant à travers une série de cavités résonantes avec des champs électriques oscillants. Des aimants sont utilisés pour focaliser et diriger le faisceau d’électrons à la sortie, maximisant ainsi leur énergie.
  • En revanche, les rayons X sont une forme de rayonnement plus coûteuse mais hautement pénétrante, adaptée aux opérations en vrac. Les rayons X sont générés lorsqu’un faisceau d’électrons rapides frappe une cible métallique, provoquant une émission de radiation électromagnétique.

Les faisceaux d’électrons et les rayons X sont générés par des machines électriques qui peuvent être allumées et éteintes et n’impliquent aucune substance radioactive.

  • De leur côté, les rayons Gamma, qui sont produits par la désintégration radioactive d’isotopes radioactifs relativement peu coûteux comme le cobalt-60, sont hautement pénétrants et constituent donc une option intéressante pour l’irradiation des aliments en très grosse quantité. Le noyau de Cobalt-60 (Co-60) émet une particule bêta (un électron) et se transforme en un noyau de Nickel-60 (Ni-60) excité. Les rayons Gamma sont alors récupérés lors de la désexcitation des ces noyaux.

De plus, les niveaux d’énergie des faisceaux d’électrons et des rayons X sont variables, en fonction de la machine qui les génère, tandis que les niveaux d’énergie des rayons Gamma provenant d’un isotope radioactif en désintégration sont constants.

Effets physiques du rayonnement sur les aliments

L’exposition des aliments au rayonnement ionisant entraîne l’absorption d’énergie, qui génère des molécules instables appelées produits radiolytiques. Ces molécules réactives interagissent chimiquement, provoquant des dommages aux cellules biologiques, notamment celles des micro-organismes contaminants.

L’irradiation affecte également les liaisons chimiques de l’ADN, perturbant les structures moléculaires des aliments et des contaminants. Cette perturbation n’a pas d’effet sur les propriétés des aliments mais réduit la viabilité des micro-organismes et des parasites, limitant ainsi leur capacité de prolifération.

II. Avantages et Inconvénients de l’Irradiation des Aliments

Objectifs et Avantages de l’Irradiation

Ce procédé permet d’éviter l’utilisation de pesticides et additifs chimiques pendant la conservation.

Les principaux effets recherchés et avantages de l’irradiation des aliments sont :

  1. Ralentissement de la dégradation :
  • Empêcher la germination des bulbes et tubercules.
  • Réduire les populations d’insectes et de micro-organismes (bactéries, levures, moisissures) responsables de la dégradation ou de la maturation naturelle des aliments.

2. Amélioration de l’hygiène alimentaire :

  • Élimination des micro-organismes et des insectes présents dans les fruits secs, les céréales et les légumes.
  • Destruction des bactéries pathogènes dans les épices, volailles et certaines viandes.

3. Prévention des intoxications alimentaires :

  • Réduction du risque d’intoxications par élimination des agents pathogènes.

Effets Indésirables/Nocifs

L’irradiation ne rend pas les aliments radioactifs, mais altère leur nature. Elle arrache des électrons aux atomes, casse des molécules et forme des radicaux libres très réactifs, créant de nouvelles molécules potentiellement toxiques.

Sur le plan nutritionnel, l’irradiation provoque des modifications mineures des niveaux de certaines vitamines (B1, C, A et E), alors que les glucides, graisses et protéines restent largement inchangés.

Toutefois, tous les micro-organismes ne sont pas nuisibles ; certains sont bénéfiques.

Enfin, l’irradiation peut induire des mutations chez les bactéries ou insectes pathogènes, créant des lignées plus résistantes.

III. Dose, sécurité et normes

Classification des Doses d’Irradiation en Gray (Gy)

L’irradiation est parfois appelée “pasteurisation à froid” car le résultat obtenu est similaire à la pasteurisation par la chaleur, mais sans la chaleur. L’effet de l’irradiation sur les aliments dépendra de la dose de rayonnement, c’est-à-dire de la quantité d’énergie absorbée par poids d’aliments, et est quantifié en rads ou grays (1 Gy = 100 rads). Elle dépend de l’énergie du rayonnement incident (en MeV), de la durée de l’exposition, de la géométrie et de la masse du produit à traiter. Les doses couramment utilisées pour irradier les aliments sont de l’ordre de 100 Gy à 10 000 Gray (soit 10 kGy). La dose délivrée aux denrées alimentaires dépend de l’effet escompté : les doses les plus « faibles » sont délivrées pour obtenir l’inhibition de la germination des aliments type pommes de terre et oignons (50 à 150 Gy) ; les doses les plus élevées (10 à 50 kGy) pour la stérilisation des aliments (repas destinés aux patients immuno-déprimés par exemple, telles que les patients souffrant du SIDA ou du cancer, mais sont également utilisés par les astronautes et les forces armées dans certaines situations.)

Attention, du point de vue de la santé humaine, ces chiffres sont colossaux. Les doses délivrées aux aliments (même celles dites “faibles”) sont mortelles pour des êtres humains.

Processus, sécurité et réglementation

Pour éviter la formation de radicaux libres néfastes, l’Europe étudie chaque aliments au cas par cas pour que les doses attribuées soients parfaitement adaptées.
L’irradiation des aliments s’effectue dans des zones confinées où ils sont exposés à une dose définie de rayonnement, en continu ou par lots, selon les besoins énergétiques et de protection. Les études confirment que les aliments irradiés sont sûrs et nutritifs.

En Europe, l’irradiation est autorisée si elle est technologiquement nécessaire, sûre, bénéfique pour le consommateur et ne remplace pas les bonnes pratiques d’hygiène ou de fabrication. En France, divers aliments comme les herbes surgelées, oignons, légumes secs et viandes de volaille peuvent être irradiés. Le pays dispose de 7 installations agréées.

Pour conclure, l’irradiation des aliments est une avancée majeure pour améliorer la sécurité alimentaire et réduire les pertes post-récolte. En effet, préserver les aliments produits est plus logique que d’augmenter la production pour compenser les pertes. L’irradiation prolonge donc la durée de conservation, élimine les parasites et pathogènes, et réduit la nécessité d’additifs chimiques. Cela permet également de répondre à la demande croissante en aliments sains et durables.

Cependant, des préoccupations subsistent quant aux effets à long terme sur la qualité nutritionnelle et à la formation de composés chimiques. La poursuite des recherches et des régulations strictes est essentielle pour garantir la sécurité des aliments irradiés.

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